lundi 18 février 2013

C'était le Laos

Voici venir les derniers jours dans un pays qui nous a encore surpris et qu'on on est encore tristes de quitter. Mais voilà, les surprises n'étaient pas toutes heureuses et la tristesse est autant liée au départ qu'aux déceptions qui ont émaillé notre chemin.



Il y a eu des rencontres, des personnes dont on se souviendra, mais sans l'intensité des fois précédentes. On n'a pas l'impression d'avoir changé de comportement, on cherche toujours à approcher les gens et à partager du temps avec eux. Jusque là, tout naturellement, ils recevaient nos sollicitations d'une manière qui allait souvent au delà de nos attentes. Cette fois, on a  aussi croisé  l'indifférence, nos salutations se sont parfois fracassées dans un océan de vide, nos sourires ont détourné des regards, nos paroles n'ont pas toujours empêché les dos de se tourner... Ces choses n'arrivaient jamais. On avait en revanche pu avoir, à l'occasion, de telles expériences en Chine. Alors, pourquoi? Le hasard de notre parcours? L'évolution des mentalités ? On ne le sait pas vraiment, on se souviendra davantage des belles âmes régulièrement croisées, de ces visages pleins du poids des années faites à la main, des regards qui s'émerveillent. On se souviendra des femmes.



Le Laos se dilue, on craint de ne plus y retrouver la simplicité et le naturel si puissants de ce peuple. Plus de trois millions de touristes par an sur six millions et demi d'habitants... Depuis quelques années, il nous semble que le pays a décidé d'entrer dans la cour des grands et fait tout comme il faut pour recevoir un certain tourisme... Là, on met la charrue avant les bœufs, ici on engloutit au bulldozer. Ça donne une impression de dislocation, la tranquillité légendaire des laotiens se fissure. Certains ont bien compris qu'il fallait profiter de cette manne et construisent ici et là des ghettos touristiques comme on en voit partout dans le monde. Les villageois, c'est ici, les touristes, c'est là. Quant à nous, si on ne parvient pas à se faufiler derrière le miroir, on s'en va. Au delà du tourisme, ce pays en pleine croissance peaufine sa fracture sociale avec détermination. Nos premiers jours ont reçu de belles claques. Paf. Et depuis, de temps à autre, paf, l'autre joue.

Dans ce cas, on fait un pas de côté pour changer d'atmosphère. On prend racine à Nong Khiaw et dans les villages alentour.



Faut dire qu'on est entré au Laos par Vientiane, cette capitale autrefois campagnarde. Désormais, comme on s'y attendait, la mutation avance vite. On avait eu un aperçu il y a quatre ans, on ne retrouvait plus nos petits endroits à l'abri des pelleteuses. Depuis, les pelleteuses sont moins nombreuses, elles ont bien tout rasé et continuent un peu plus loin. Ce qui faisait le sel de cette ville, c'était les petits restaurants et bistrots installés le long du Mekong, un peu de bric et de broc pour certains. En lieu et place de cette promenade le long du fleuve, on déambule désormais sur une allée piétonne flambant neuve, un parc tout bien propre et bien tondu en contrebas, un marché de nuit artificiel, une esplanade monumentale où trône une statue géante du roi Anouvong. On dirait Mao. Financements et main d’œuvre sont chinois... Se construit donc ici, le Vientiane du XXIème siècle, cité d'affaires et de tourisme. Résidences de luxe et palais des congrès rutilants sont déjà sortis de terre, encore vides. D'autres immeubles sont sur les plans qu'on peut voir, fièrement disposés sur le terrain en chantier. Et voilà.



On doit rester à Vientiane le temps de faire des visas, on va donc prendre notre mal en patience. On rôde et on finit par retrouver les quartiers bien plus paisibles où tout continue comme avant. Un des grands marchés de Vientiane, extravagant, est bien toujours là. C'est un bouillonnement incroyable avant même le lever du jour. Là, ils n'ont pas passé le karcher, ni effacé les sourires et la bonne humeur. Comme toujours sur les marchés du Laos, ce sont des visions et des odeurs parfois franchement repoussantes quand on est végétarien !! Jusqu'à présent, pas de viande de cheval en vue... mais en revanche la petite faune sauvage finit ses jours ici, à poil, à plumes, vivante, dépecée ou déjà en brochette.


On n'attend pas l’obtention des visas, on s'en va quelques jours vers le sud, à Thakhek, une petite ville au bord du fleuve, entourée des montagnes. On explore ce paysage vraiment beau, on retrouve un peu de nature et d'espace. L'accueil n'est pas partout des plus chaleureux, sauf naturellement sur les marchés, ces mondes à part où se concocte le piment de la vie quotidienne. Celui de Thakhek est franchement sympathique, on s'y fait vite des copines. Les hottes et les paniers bondissent, se vident et se remplissent encore mieux avec des cris et des grands gestes. C'est ici que ça se passe, ici que commence l'histoire du jour qui vient. Il faudrait encore beaucoup de temps dans ce pays pour connaître tout ce qui circule sur les étals... Ce jour là, les vendeuses de poulets étaient en forme !





Nos visas vietnamiens et chinois en poche, nous voilà en route vers le nord. On veut faire un grand bond, on enchaîne un bus de nuit pour Luang Prabang (qu'on ne veut plus voir, on préfère rester avec nos souvenirs) et un minibus ensuite pour Nong Khiaw. Là, on est dans un gros village au bord de la Nam Ou, au milieu des formations karstiques. On respire mieux, on dirait aussi qu'on retrouve le Laos. Il était donc là ? On savoure quelques jours cette sensation agréable de croiser des êtres humains sans se demander s'il vaut mieux les saluer ou faire mine de ne voir personne. Bon faut fermer les yeux sur le quartier des touristes où sont concentrés les hébergements et restaurants pour ceux qui n'ont pas envie de chercher plus loin quand la faim et la soif déboulent sans prévenir. Il faut aller plus loin, bien sûr. Jusque chez Namlin par exemple. Là, à la sortie du village un couple tient un petit restaurant où une table nous attend. Namlin la fillette et Chilo le chien s'occupent de l'animation. C'est familial, ça devient familier et toute appréhension s'envole. On se sait pas encore où elle est allée s'embusquer... On reste prudents.

Notre but est de rejoindre Phongsaly tout au nord. Pour l'étape suivante, on prend un bateau sur la Nam Ou jusqu'à Muang Khua. La balade en bateau restera un grand moment, une spectaculaire remontée de rivière avec quelques rapides et un capitaine très efficace. La vie défile. Lors des arrêts, on l’attrape. On est les rois. La suite de l'aventure sera moins drôle... A Muang Khua, c'est la douche froide : un hébergement glauque, un accueil glacial dans le petit bourg et un tapis d'immondices sur les bords de cette si belle rivière... Paf paf, un aller retour. La nuit, c'est le déluge, la douche froide se matérialise... Le lendemain, on est partis, adieu Phongsaly. On n'est pas prêts à avaler davantage de soupe à la grimace alors que tout était redevenu si cordial.



On redescend la rivière en faisant escale à Muang N'goy, ce petit village sans voiture, presque sans électricité, transformé depuis quelques années pour accueillir des visiteurs. Et les visiteurs affluent. C'est un très bel endroit, retiré encore pour quelques temps. Une route arrive à grands pas.




On profite des chemins, on croise encore des bulldozers, on traversent des villages plus reculés. Là non plus on n'est pas toujours les bienvenus... Ça peut se comprendre, il y peut-être trop de passage. Un peu plus loin, au contraire, l'accueil est très chaleureux. Quoiqu'il en soit on ne parvient pas à se lier vraiment avec les habitants ici non plus.



Finalement, c'est à Nong Khiaw qu'on se sent le mieux. On y retourne pour y rester un peu, beaucoup. On explore une partie des villages des environs, on profite sans limite de cette facilité de communiquer ici. On était encore un peu sur nos gardes. On se souviendra des belles choses et des belles personnes de Nong Khiaw, de son minuscule et surprenant marché.







Les scènes de vie nous embarquent dans le temps où les mains servaient à attraper les idées et à ne plus les lâcher avant de leur avoir donné forme. Ici on fait sécher les algues de la rivière confectionnées en plaques, là on file, on tisse, on fabrique des paniers à riz, des hottes, des balais... On cueille, on cultive, on pêche, on chasse. Le marché se lève très tôt.





Cerise sur le gâteau, on a la chance de se trouver sur la route des vacances de Sédric et Karine. Allez, tout le monde chez Namlin !

C'était un mois en demi teinte, le Laos continue d'être avalé par la Chine et certains endroits sont maintenant totalement digérés. Le Vietnam et la Thaïlande en croquent aussi. Le Laos vient d'entrer à l'OMC, il est en train de perdre son âme. C'est écrit sur la devanture des banques : l'argent se place à 12%... Ça change fatalement les comportements. Il y a des îlots de résistance et on a eu la chance d'en trouver quelques uns. Alors, instantanément tout est là, comme si cela devait durer toujours. Pour ça, on continue d'aimer ce pays.
On sait que le régime est très dur malgré une apparente douceur de vivre. Ceci explique peut-être cela. On ne voit pas ce qui se passe vraiment, quelles couleuvres doivent être avalées pour ne pas faire de vagues. On sait que les prisons sont pleines d'opposants. On sait que les moines ont du renoncer à certains préceptes du bouddhisme pour être compatibles avec les autorités. On peut comprendre alors que des sourires disparaissent.

Ainsi va le voyage, ses heurts et ses bonheurs, il n'est jamais comme on pense qu'il va être. Alors, comme on va maintenant dans un pays qu'on ne connaît pas, on ne le trouvera pas changé. On le trouvera. Demain, le Vietnam.




Valérie

D'autres images sur un fond musical enregistré dans la rue. Partout, au Laos, dans le moindre petit hameau, des chansons s'échappent des maisons. C'est l'empreinte du Laos qui reste en vous. C'est le Laos qu'on aime.