Leh - Lamayuru
On n'est pas mécontents
de se poser à Leh un matin à l'aube, une ville oasis au sud de la
chaîne du Ladakh, montagneuse et désertique. Le survol des
montagnes nous fait oublier toutes nos peines.
On a eu chaud, trop chaud
depuis un mois qu'on a quitté le Sichuan et sa fraîcheur parfois
déguisée en grand frais-avis de tempête. On est passés par les 40
degrés humides de la Thaïlande, décongelés puis fondus. Le monde
est ainsi fait qu'il faut faire des cabrioles impossibles pour
obtenir un visa. A vol d'oiseau, du Sichuan au Ladakh, la distance
est faible, mais la Chine et L'inde ne sont pas copains-copains en
matière de frontières dans ces zones, donc, pas de visa possible.
Bon, comme on n'a pas décidé de se rebeller ici et maintenant, on
fait ceux qui ont envie de bains de mer, de fruits tropicaux, de
rires thaï et on se retrouve sur l’île de Koh Phangan, pour
profiter du vent marin. De fait, on y prend goût et on se remet en
état dans un bungalow bien tranquille au fond d'un jardin généreux.
Le manguier n'a pas été déçu, on lui a fait honneur, c'est la
pleine saison des fruits. Une moto pour les paresseux, un vélo pour
les courageux et les fonds marins pour tempérer les assauts
pressants de ce soleil qui nous suit partout.
Après cet aparté, le
visa en main malgré quelques frayeurs, on s'envole pour Delhi, puis
pour Leh le lendemain. On vient donc de franchir quelques 3500 mètres
de dénivelé très vite. C'est vraiment très mal de faire subir ça
à son corps, alors, on se met tout de suite au repos et, pendant
quelques jours on reste calmes, on découvre cet endroit tant attendu
à petits pas et en respirant à fond. Comme prévu, les deux
premiers jours on est un peu dans un état de paresse émerveillée,
pas besoin d'effort pour ouvrir les yeux. Le petit mal de tête s'en
ira prochainement, on le sait, on ne le brusque pas. Il faut bien
qu'il fasse son travail, histoire de nous faire prendre conscience
combien c'est bon de n'avoir mal nulle part.
Ce qui nous surprend
davantage au début, c'est qu'il fait moins frais qu'on imaginait et
que l'air est d'une sécheresse terrible. Bien qu'on soit encore
imbibés de la moiteur siamoise, on accuse le coup. Les après-midi
sont caniculaires et il faut boire en continu. Peu à peu on
s'acclimate, le corps s'habitue et ça nous paraît un peu moins
violent. On scrute les nuages, le ciel bleu n'est pas notre ami. On a
la chance d'avoir quelques jours de temps couvert, puis pluvieux et
même neigeux sur les montagnes. On savoure cette clémence des
températures. Le paysage environnant se module en permanence. La
pierraille, les pentes rocheuses tourmentées font certes des misères
aux marcheurs mais régalent les photographes d'ombres et de lumières
déchirées.
Voilà, maintenant on
peut commencer à explorer la ville et ses environs. C'est une drôle
de ville. Dans le haut elle ressemble à un village de campagne avec
les travaux des champs, les hameaux et les belles maisons ladakhis en
pierres et en terre, les cours d'eau, les animaux partout et une
population chaleureuse.
Ailleurs, c'est un petit bourg avec ses
ruelles étroites et tortueuses, ses chemins d'eau, encore des
animaux qui se promènent librement, des arbres, des jardins. Plus
bas la ville devient ville avec voitures, magasins, échoppes, bruit
et pollution, beaucoup plus d'humains que d'animaux. L'ambiance reste
sympathique, parfois forcément un peu plus commerciale qu'il ne
faudrait. Il y a quelques rues cachées dans la vieille ville où
œuvrent les artisans boulangers, tailleurs, bouchers (là on passe
vite;-) et tous les petits métiers de rue.
C'est vers le haut qu'on
a élu domicile et c'est vers le plus haut encore qu'on part
randonner au tout petit matin. On est vite sur les pentes des
montagnes et on découvre là des coins vraiment magnifiques et le
regard furtif des bêtes qui pensaient être seules par ici. Il y a
le coin des « lapins-souris » de l'Himalaya, le coin de
la marmotte, celui de la renarde et des renardeaux. Des oiseaux, il y
en a partout, des chemins qui grimpent aussi, on est contents. Lever
avant 5h et départ à la fraîche si on ne veut pas revenir secs.
Les chevaux, les ânes, les vaches, les yaks, les chiens se promènent
librement aussi en quête de pitance.
Sur les hauteurs de la
ville, deux monastères se disputent les levers et couchers de
soleil. Un de construction récente, Shanti Stupa, et l'autre, Tsemo
Gonpa dont il ne reste qu'une petite partie, très ancien. Les 600
marches pour y accéder sont un bon entraînement quotidien pour se
refaire des jambes neuves et des poumons spéciaux pour les hauts
lieux. Bientôt on aura des sacs pleins de globules rouges, on
enjambera les torrents fougueux, on bondira de cols en cols. Ou bien,
on fera de longues siestes pour en rêver.
Et voilà que ça fait
deux semaines qu'on est là, à découvrir encore des quartiers, des
chemins, des gens. La population est un mélange d'indiens venus
d'autres provinces, de Ladakhis, de Cachemiris, de Tibétains et, en
cette période, de plus en plus de touristes indiens et étrangers.
Dans cette ville multiculturelle, des temples bouddhistes et les
pujas (cérémonie des moines) côtoient les mosquées et l'appel du
muezzin aux heures de prières des musulmans. Il semble que tout ce
monde vit bien tranquillement ensemble, mais on n'a pas eu l'occasion
d'en parler vraiment avec les gens. Nos rencontres, si elles sont
vraiment cordiales, ne sont pas encore très intenses. Dans une ville
où défilent tant de voyageurs, ça se comprend. Il faudra sortir
de Leh pour approcher davantage les gens au cœur de leur vie. En
attendant, notre régime alimentaire s'est adapté à la couleur
locale et on n'est pas mécontents de retrouver le thé aux épices,
les chapatis, les momos, le thali (plat national indien), les yaourts
au lait de dimo (femelle du yak) et les abricots secs des hautes
vallées himalayennes.
On se déracine enfin
pour suivre l'Indus vers l'ouest et on s'installe pour quelques jours
à Lamayuru, village perché autour d'un très ancien monastère.
Quelques homestay pour s'héberger (chambre chez l'habitant), un beau
cadre de montagnes déchiquetées, des couleurs elles aussi en mille
morceaux, quelques hameaux oasis autour et des chemins en nombre. Le
climat est toujours aussi rude, archi sec et chaud. Si le vent
atténue la chaleur, il renforce au contraire la sensation de
dessèchement. Les endroits ombragés, s'ils sont rares à certaines
heures, sont beaucoup plus frais, presque trop !
Notre famille d'accueil
est vraiment sympathique mais aussi quelque peu déroutante. Les
parents ont une bonne cinquantaine, c'est le fils Dorge qui nous
reçoit avec sa femme et leurs deux enfants et Dolkar, la jeune sœur
qui nous sauve en parlant très bien anglais, comme Dorge. La maman
est un spectacle permanent avec son bonnet pointu bleu et sa petite
voix aigue. Elle nous fait vraiment rire. Au bout de quelques jours
on fait partie de la famille et on partage les repas du soir dans la
grande cuisine. Rares sont les touristes qui s'installent aussi
longtemps ici. Les gens viennent visiter le monastère et son
spectaculaire environnement. C'est un cirque d'argile sculpté par le
temps aux formes et aux couleurs extraordinaires. Il y aurait eu un
lac aujourd'hui asséché. D'autres viennent pour démarrer là le
trek du Zanskar. En bref, les gens passent, et nous, on reste. On se
fait donc des connaissances dans le village.
A une dizaine de
kilomètres de là, à Atitse, après deux heures de marche on se
repose dans ce minuscule hameau (trois maisons, deux familles) avant
de faire la dernière grimpette vers un autre monastère célèbre.
Une jeune fille nous invite à prendre un thé dans une belle maison
de montagne. On passe un bon moment à parler ensemble autour de
plusieurs thés. C'est le début d'une amitié entre nous et cette
famille. Dolma, 22 ans, est une personne qui nous touche beaucoup,
avec sa maturité impressionnante et son énergie. Elle est étudiante
assez loin d'ici, elle vient passer l'été à aider sa famille aux
travaux des champs et de la ferme.
On fait connaissance avec les
membres de cette famille, et petit à petit, au bout de plusieurs
visites, on découvre des gens hors du commun. Ils vivent à Lamayuru
en hiver, dans la plus ancienne maison du village. Les plus anciennes
maisons s'enchevêtrent autour du monastère, dans un dédale de
ruelles et de stupas.
En été, ils sont à Atitse pour cultiver
l'orge, élever les jeunes animaux de l'année. C'est le temps de
tondre les chèvres et le yak, de recueillir la laine et de tisser
des couvertures pour l'hiver. C'est l'oncle qui se charge de ce
travail de titan. Un oncle rieur et courageux. Le grand-père fait le
beurre.
Un jour, je viens
spécialement pour donner un coup de main. On ramasse de l'herbe pour
les animaux, mais, Dolma et sa maman ont peur d'abuser de mes forces
et on passe plus de temps dans la cuisine à boire du thé qu'aux
champs ! Le papa de Dolma est décédé de maladie il y a moins
d'un an. Il y a cinq enfants, de seize à vingt-deux ans, tous encore
à l'école. Le papa était enseignant et je comprends que c'est
important pour cette famille de faire tout pour que les enfants
poursuivent leurs études et aillent à l'université. Les ressources
sont faibles mais ils sont autonomes dans beaucoup de domaines pour
le quotidien. Les études coûtent cher et les étudiants cherchent
toujours des moyens de trouver un financement. Après beaucoup de
discussions avec Dolma sur sa façon de vivre, ses conditions
matérielles, je comprends que j'ai affaire à une jeune fille
infatigable. Elle est très calme, douce, mais elle abat un travail
considérable au village, dans sa famille, dans sa vie d'étudiante.
Sa jeune soeur Chondo, prend le même chemin. Quand je propose à
Dolma de participer à ses frais de scolarité et qu'elle finit par
accepter, elle me demande de donner plutôt cet argent à sa cadette.
Comme tu veux Dolma, c'est toi qui sait ce qu'il convient de faire de
cette modeste somme mensuelle que j'ai l'intention de t'offrir. Je
sais qu'elle sera fort utile.C'est difficile de quitter la famille
Onpo, c'est difficile aussi de quitter le renardeau qu'on a découvert
au fond d'un canyon asséché.
Il est seul, il s'approche chaque jour
un peu plus, puis disparaît quelque temps avant de se montrer à
nouveau. Quand on s'approche du terrier, on siffle toujours un même
air qui semble lui plaire, « Les nougats » de Brigitte
Fontaine. Il aime bien mais il préfère encore les biscuits à la
noix de coco. On a rien d'autre à lui proposer. On se demande si la
maman est là qui se cache ou s'il y a eu un problème. Il est
vraiment jeune et semble en bonne forme.
Dolma, on la reverra et
on lui écrira, mais Zoreilles, le renardeau ? Ainsi va la vie
sauvage, il ne faut pas croire qu'on puisse y pénétrer vraiment.
On en aura fait des
randonnées dans les prairies d'altitude qui appartiennent aux
chèvres, aux vaches et aux ânes, vers les cols des alentours, les
hameaux perdus au fond des vallées. En chemin, on a rencontré de
belles personnes, on a entrevu des moments de la vie ladakhi, une vie
souvent très humble, très contrainte et, peut-être à cause de ça,
très généreuse.
Mais, car il y a un mais,
cette région du monde reste rude physiquement et matériellement. La
beauté se paye et on hésite encore à faire de plus longs treks
dans ces montagnes arides où les villages sont très éloignés les
uns des autres parfois. On projette maintenant d'aller vers la vallée
de la Nubra, plus au nord et de rayonner autour tranquillement.
Valérie
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