mardi 9 juillet 2013

De la Chine à L'inde, longue route vers le Ladakh - Ladakh, épisode 1 : Leh - Lamayuru

Leh - Lamayuru


On n'est pas mécontents de se poser à Leh un matin à l'aube, une ville oasis au sud de la chaîne du Ladakh, montagneuse et désertique. Le survol des montagnes nous fait oublier toutes nos peines.
On a eu chaud, trop chaud depuis un mois qu'on a quitté le Sichuan et sa fraîcheur parfois déguisée en grand frais-avis de tempête. On est passés par les 40 degrés humides de la Thaïlande, décongelés puis fondus. Le monde est ainsi fait qu'il faut faire des cabrioles impossibles pour obtenir un visa. A vol d'oiseau, du Sichuan au Ladakh, la distance est faible, mais la Chine et L'inde ne sont pas copains-copains en matière de frontières dans ces zones, donc, pas de visa possible. Bon, comme on n'a pas décidé de se rebeller ici et maintenant, on fait ceux qui ont envie de bains de mer, de fruits tropicaux, de rires thaï et on se retrouve sur l’île de Koh Phangan, pour profiter du vent marin. De fait, on y prend goût et on se remet en état dans un bungalow bien tranquille au fond d'un jardin généreux. Le manguier n'a pas été déçu, on lui a fait honneur, c'est la pleine saison des fruits. Une moto pour les paresseux, un vélo pour les courageux et les fonds marins pour tempérer les assauts pressants de ce soleil qui nous suit partout.

Après cet aparté, le visa en main malgré quelques frayeurs, on s'envole pour Delhi, puis pour Leh le lendemain. On vient donc de franchir quelques 3500 mètres de dénivelé très vite. C'est vraiment très mal de faire subir ça à son corps, alors, on se met tout de suite au repos et, pendant quelques jours on reste calmes, on découvre cet endroit tant attendu à petits pas et en respirant à fond. Comme prévu, les deux premiers jours on est un peu dans un état de paresse émerveillée, pas besoin d'effort pour ouvrir les yeux. Le petit mal de tête s'en ira prochainement, on le sait, on ne le brusque pas. Il faut bien qu'il fasse son travail, histoire de nous faire prendre conscience combien c'est bon de n'avoir mal nulle part.
























Ce qui nous surprend davantage au début, c'est qu'il fait moins frais qu'on imaginait et que l'air est d'une sécheresse terrible. Bien qu'on soit encore imbibés de la moiteur siamoise, on accuse le coup. Les après-midi sont caniculaires et il faut boire en continu. Peu à peu on s'acclimate, le corps s'habitue et ça nous paraît un peu moins violent. On scrute les nuages, le ciel bleu n'est pas notre ami. On a la chance d'avoir quelques jours de temps couvert, puis pluvieux et même neigeux sur les montagnes. On savoure cette clémence des températures. Le paysage environnant se module en permanence. La pierraille, les pentes rocheuses tourmentées font certes des misères aux marcheurs mais régalent les photographes d'ombres et de lumières déchirées.


Voilà, maintenant on peut commencer à explorer la ville et ses environs. C'est une drôle de ville. Dans le haut elle ressemble à un village de campagne avec les travaux des champs, les hameaux et les belles maisons ladakhis en pierres et en terre, les cours d'eau, les animaux partout et une population chaleureuse.



Ailleurs, c'est un petit bourg avec ses ruelles étroites et tortueuses, ses chemins d'eau, encore des animaux qui se promènent librement, des arbres, des jardins. Plus bas la ville devient ville avec voitures, magasins, échoppes, bruit et pollution, beaucoup plus d'humains que d'animaux. L'ambiance reste sympathique, parfois forcément un peu plus commerciale qu'il ne faudrait. Il y a quelques rues cachées dans la vieille ville où œuvrent les artisans boulangers, tailleurs, bouchers (là on passe vite;-) et tous les petits métiers de rue.



C'est vers le haut qu'on a élu domicile et c'est vers le plus haut encore qu'on part randonner au tout petit matin. On est vite sur les pentes des montagnes et on découvre là des coins vraiment magnifiques et le regard furtif des bêtes qui pensaient être seules par ici. Il y a le coin des « lapins-souris » de l'Himalaya, le coin de la marmotte, celui de la renarde et des renardeaux. Des oiseaux, il y en a partout, des chemins qui grimpent aussi, on est contents. Lever avant 5h et départ à la fraîche si on ne veut pas revenir secs. Les chevaux, les ânes, les vaches, les yaks, les chiens se promènent librement aussi en quête de pitance.

Sur les hauteurs de la ville, deux monastères se disputent les levers et couchers de soleil. Un de construction récente, Shanti Stupa, et l'autre, Tsemo Gonpa dont il ne reste qu'une petite partie, très ancien. Les 600 marches pour y accéder sont un bon entraînement quotidien pour se refaire des jambes neuves et des poumons spéciaux pour les hauts lieux. Bientôt on aura des sacs pleins de globules rouges, on enjambera les torrents fougueux, on bondira de cols en cols. Ou bien, on fera de longues siestes pour en rêver.


Et voilà que ça fait deux semaines qu'on est là, à découvrir encore des quartiers, des chemins, des gens. La population est un mélange d'indiens venus d'autres provinces, de Ladakhis, de Cachemiris, de Tibétains et, en cette période, de plus en plus de touristes indiens et étrangers. Dans cette ville multiculturelle, des temples bouddhistes et les pujas (cérémonie des moines) côtoient les mosquées et l'appel du muezzin aux heures de prières des musulmans. Il semble que tout ce monde vit bien tranquillement ensemble, mais on n'a pas eu l'occasion d'en parler vraiment avec les gens. Nos rencontres, si elles sont vraiment cordiales, ne sont pas encore très intenses. Dans une ville où défilent tant de voyageurs, ça se comprend. Il faudra sortir de Leh pour approcher davantage les gens au cœur de leur vie. En attendant, notre régime alimentaire s'est adapté à la couleur locale et on n'est pas mécontents de retrouver le thé aux épices, les chapatis, les momos, le thali (plat national indien), les yaourts au lait de dimo (femelle du yak) et les abricots secs des hautes vallées himalayennes.



On se déracine enfin pour suivre l'Indus vers l'ouest et on s'installe pour quelques jours à Lamayuru, village perché autour d'un très ancien monastère. Quelques homestay pour s'héberger (chambre chez l'habitant), un beau cadre de montagnes déchiquetées, des couleurs elles aussi en mille morceaux, quelques hameaux oasis autour et des chemins en nombre. Le climat est toujours aussi rude, archi sec et chaud. Si le vent atténue la chaleur, il renforce au contraire la sensation de dessèchement. Les endroits ombragés, s'ils sont rares à certaines heures, sont beaucoup plus frais, presque trop !




Notre famille d'accueil est vraiment sympathique mais aussi quelque peu déroutante. Les parents ont une bonne cinquantaine, c'est le fils Dorge qui nous reçoit avec sa femme et leurs deux enfants et Dolkar, la jeune sœur qui nous sauve en parlant très bien anglais, comme Dorge. La maman est un spectacle permanent avec son bonnet pointu bleu et sa petite voix aigue. Elle nous fait vraiment rire. Au bout de quelques jours on fait partie de la famille et on partage les repas du soir dans la grande cuisine. Rares sont les touristes qui s'installent aussi longtemps ici. Les gens viennent visiter le monastère et son spectaculaire environnement. C'est un cirque d'argile sculpté par le temps aux formes et aux couleurs extraordinaires. Il y aurait eu un lac aujourd'hui asséché. D'autres viennent pour démarrer là le trek du Zanskar. En bref, les gens passent, et nous, on reste. On se fait donc des connaissances dans le village.


A une dizaine de kilomètres de là, à Atitse, après deux heures de marche on se repose dans ce minuscule hameau (trois maisons, deux familles) avant de faire la dernière grimpette vers un autre monastère célèbre. Une jeune fille nous invite à prendre un thé dans une belle maison de montagne. On passe un bon moment à parler ensemble autour de plusieurs thés. C'est le début d'une amitié entre nous et cette famille. Dolma, 22 ans, est une personne qui nous touche beaucoup, avec sa maturité impressionnante et son énergie. Elle est étudiante assez loin d'ici, elle vient passer l'été à aider sa famille aux travaux des champs et de la ferme. 



On fait connaissance avec les membres de cette famille, et petit à petit, au bout de plusieurs visites, on découvre des gens hors du commun. Ils vivent à Lamayuru en hiver, dans la plus ancienne maison du village. Les plus anciennes maisons s'enchevêtrent autour du monastère, dans un dédale de ruelles et de stupas.


En été, ils sont à Atitse pour cultiver l'orge, élever les jeunes animaux de l'année. C'est le temps de tondre les chèvres et le yak, de recueillir la laine et de tisser des couvertures pour l'hiver. C'est l'oncle qui se charge de ce travail de titan. Un oncle rieur et courageux. Le grand-père fait le beurre.




Un jour, je viens spécialement pour donner un coup de main. On ramasse de l'herbe pour les animaux, mais, Dolma et sa maman ont peur d'abuser de mes forces et on passe plus de temps dans la cuisine à boire du thé qu'aux champs ! Le papa de Dolma est décédé de maladie il y a moins d'un an. Il y a cinq enfants, de seize à vingt-deux ans, tous encore à l'école. Le papa était enseignant et je comprends que c'est important pour cette famille de faire tout pour que les enfants poursuivent leurs études et aillent à l'université. Les ressources sont faibles mais ils sont autonomes dans beaucoup de domaines pour le quotidien. Les études coûtent cher et les étudiants cherchent toujours des moyens de trouver un financement. Après beaucoup de discussions avec Dolma sur sa façon de vivre, ses conditions matérielles, je comprends que j'ai affaire à une jeune fille infatigable. Elle est très calme, douce, mais elle abat un travail considérable au village, dans sa famille, dans sa vie d'étudiante. Sa jeune soeur Chondo, prend le même chemin. Quand je propose à Dolma de participer à ses frais de scolarité et qu'elle finit par accepter, elle me demande de donner plutôt cet argent à sa cadette. Comme tu veux Dolma, c'est toi qui sait ce qu'il convient de faire de cette modeste somme mensuelle que j'ai l'intention de t'offrir. Je sais qu'elle sera fort utile.C'est difficile de quitter la famille Onpo, c'est difficile aussi de quitter le renardeau qu'on a découvert au fond d'un canyon asséché. 



Il est seul, il s'approche chaque jour un peu plus, puis disparaît quelque temps avant de se montrer à nouveau. Quand on s'approche du terrier, on siffle toujours un même air qui semble lui plaire, « Les nougats » de Brigitte Fontaine. Il aime bien mais il préfère encore les biscuits à la noix de coco. On a rien d'autre à lui proposer. On se demande si la maman est là qui se cache ou s'il y a eu un problème. Il est vraiment jeune et semble en bonne forme.
Dolma, on la reverra et on lui écrira, mais Zoreilles, le renardeau ? Ainsi va la vie sauvage, il ne faut pas croire qu'on puisse y pénétrer vraiment.



On en aura fait des randonnées dans les prairies d'altitude qui appartiennent aux chèvres, aux vaches et aux ânes, vers les cols des alentours, les hameaux perdus au fond des vallées. En chemin, on a rencontré de belles personnes, on a entrevu des moments de la vie ladakhi, une vie souvent très humble, très contrainte et, peut-être à cause de ça, très généreuse.




Mais, car il y a un mais, cette région du monde reste rude physiquement et matériellement. La beauté se paye et on hésite encore à faire de plus longs treks dans ces montagnes arides où les villages sont très éloignés les uns des autres parfois. On projette maintenant d'aller vers la vallée de la Nubra, plus au nord et de rayonner autour tranquillement.

Valérie


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