Leh, notre camp de base,
malgré ses quartiers bien trop agités pour nous en cette fin
juillet, est notre lieu de « maintenance ». On s'y
retape, on se love dans un bon réconfort depuis qu'on a déniché un
homestay fait sur mesure.
On habite chez Kouné, son mari et ses deux filles dans une maison calme avec un grand jardin potager. Elle nous régale de ses légumes (et aussi de momos!!) si précieux dans ce pays .
On habite chez Kouné, son mari et ses deux filles dans une maison calme avec un grand jardin potager. Elle nous régale de ses légumes (et aussi de momos!!) si précieux dans ce pays .
Elle a bien compris qu'on a un petit faible pour ses trésors,
épinards, carottes, choux, salades, petits pois, haricots, radis
blancs... Kouné, c'est notre protectrice. Elle garde notre chambre
quand on fait une escapade pendant quelques jours, elle apporte du
thé toujours au bon moment, elle remplit nos bouteilles d'une bonne
eau potable des montagnes. Elle est douce et calme, elle ne sait pas
qu'elle nous console parfois des petits maux du voyageur.
Cette fois, on a pris une
jeep partagée avec des indiens pour franchir le Kardung La, un col à
5600 mètres. Une route magnifique qui surplombe les vallées de
L'Indus en montant et de la Nubra en redescendant. A 5600 mètres, on
ne ressent aucun malaise, bonne nouvelle. Il fait à peine un peu
frais. Là où c'est moins heureux, c'est que Diskit, le village où
on va séjourner, est à 3100 mètres, c'est à dire moins haut que
Leh. Le « mais » dont on a déjà parlé dans le
précédent article, en profite donc pour enfler, projette de se
mettre en travers de notre chemin pour rendre nos balades
éprouvantes.
On découvre une très
large vallée où la rivière fait de grands méandres autour de
dunes de sables. Elle est bordée de villages, de cultures et de
montagnes sèches. Le cagnard se régale. Des chameaux vivent ici, ça
donne une idée du climat. On grimpe le soir jusqu'au monastère
perché pour avoir une vue spectaculaire sur l'ensemble du paysage.
Le très ancien gompa est impressionnant, comme toujours au Ladakh.
Construit sur un éperon rocheux, il se niche dans les replis du roc
et semble un prolongement naturel des lieux. On ne sait pas qui, de
la montagne ou du monastère, engloutit l'autre. Ce qu'on sait, ce
qu'on sent bien, c'est la verticalité du dédale qui nous conduit de
shortens en statues, de recoins en escaliers tortueux vers les
nuages.
Pendant ce temps le
« mais » prépare son coup en douce pour le lendemain.
On se lève tôt pour
aller à Hunder, un village à huit kilomètres, (eh, facile qu'on se
dit) où on peut voir les fameux chameaux de Bactriane, hélas
devenus des animaux domestiques pour balader les touristes. On sait
qu'il y en a environ deux cents semi-sauvages dans le secteur. On
fait des détours dans ce drôle de village artificiel composé quasi
uniquement de guesthouses plutôt luxueuses. Et la chaleur aidant, on
arrive au but moulus et suants. Les chameaux sont magnifiques mais on
est un peu étonnés, voire écœurés, de voir comment ça se passe,
comment s'enchaînent les tours de quinze ou trente minutes dans ce
désert de sable. On voudrait rentrer en suivant le lit de la
rivière, mais, entre les dunes de sable, le risque est grand de se
perdre et de cuire sur place. On rentre donc en voiture avec
quelqu'un du village. Après cette journée, notre moral en a pris un
coup, c'est vraiment trop dur de marcher ici.
Alors, on abandonne nos
projets de découvrir d'autres villages dans cette longue vallée et
on décide de rentrer prématurément à Leh. Chez Kouné, on se
remet de nos épreuves. Il y en a un qui commence à perdre la
motivation. Le type vosgien-breton est dépendant d'une part de
forêts, de sentiers moussus, d'odeurs de champignons et d'autre part
de crachin oblique, de vent marin, de chalutiers furieux et de cirés
jaunes qui gîtent de babord en étoiles !!!. On se calme, au
Ladakh, y'a pas. En revanche les rochers, la pierraille de toutes
les couleurs, de toutes les formes et de toutes les tailles, les
rivières (et les réseaux d'eau ingénieusement distribuée) qui
heureusement, verdissent les villages, abondent. Si parfois les
contraires s'attirent et s'enrichissent, là non ;-). Le type
Corse-Provençal s'en sort un peu mieux, surtout quand il fourbit
bien ses armes : lever vers 4h30 le matin (le jour arrive dès
5h), départ sur les chemins si possible avant le soleil, dialogue
avec Morphée aux heures chaudes et ne ressortir que quand le soleil
s'en va éclairer plus loin, à l'ouest de nos intentions.
On fait des rencontres en
arpentant les chemins, ça aide à avancer. La population locale est
vraiment étonnante et les moments partagés sont marquants, même
lorsqu'ils sont courts. On n'en finit pas de se demander comment on
fait pour vivre ici toute l'année.
On va donc, on a compris
la leçon, viser d'autres altitudes, là où on est à peu près sûrs
d'avoir de la fraîcheur. On prend un bus vers le sud-est de Leh,
vers le Tsomo Riri, un lac à 4500 mètres. On en a pour douze
heures, mais ce trajet au milieu des ladakhis est une belle aventure
avec un conducteur très prudent.
Tsomo Riri, on en a rêvé
en voyageant sur les cartes du Ladakh il y a des mois de cela. On
arrive à Korzok en fin de journée, quand le coucher de soleil fait
flamber ce décor de démesure. C'est splendide. Pour le logement, on
devra se contenter d'une chambre basique chez une très gentille
vieille dame. Va pour cette option, il y a quand même tout ce qu'il
faut même si tout est un peu bancal.
C'est parti pour trois jours
d'exploration le long du lac, sur les pentes des montagnes autour,
dans les prairies d'altitude où vivent des nomades éleveurs à
cette saison. Cet endroit à la particularité de changer de couleur
en permanence. Les lumières, la roche colorée des montagnes, les
ciels en mouvement permanent tricotent de fantastiques paysages. Et,
la faune, pour peu qu'on se donne un peu de mal, nous réserve de
belles surprises. On a pu se régaler avec le gypaète barbu, les
oies à tête barrées, des canards, des petits oiseaux.
Dans ce village, reculé,
l'atmosphère est particulière. Les visages sont burinés par le
soleil, le vent, la poussière. Des regards intenses . Les gens
se retrouvent devant les échoppes, dans la tente-restaurant du coin
et ces assemblées pourraient sembler un peu distantes par rapport
aux étrangers. On sait qu'il n'en est rien. Ceux qui viennent passer
une nuit et puis s'en vont ne peuvent pas se douter que, dans ce
village far-west, les gens ont simplement la vie dure. Derrière des
visages parfois durs, ils sont vraiment cordiaux quand on prend le
temps. Ils nous rappellent les grands Tibétains du Sichuan, si
impressionnants au premier abord.
On a un petit souci :
les bus ne passe que tous les dix jours. Or, le permis pour cette
région, Le Rupshu, ne dure que sept jours... On voudrait profiter
des jours restants pour aller voir un autre lac, le Tso Kar. On se
renseigne auprès des touristes dans les campements autour, et la
chance nous sourit.
Pascal, un français qui guide un groupe de
motards, nous invite très spontanément à embarquer le lendemain
dans la jeep qui suit le groupe. Pascal, une bonne quarantaine vit en
Inde depuis sept ans avec sa petite famille. Illustrateur en hiver,
guide-motard l'été, il est bien dans sa vie et transmet son tonus
aux autres. Le petit groupe de motards est une bande bien sympathique
de Français de métropole et d'outre-mer, de Belges et de Suisses.
Point commun : ils sont tous très sereins et l'ambiance est
plutôt blagueuse. Même si on n'a pas une passion pour la moto, il
fait vraiment bon avec eux. On s'arrête souvent et, sur les pistes,
l'allure est plus que raisonnable. Il faut savoir que sur les routes
trans-himalayennes, enfourcher une Royal Enfield mythique est une
activité très prisée en été.
Nous voilà donc à
Thukje, hameau perdu au bord du lac Tso Kar. Un lac salé, bleu
turquoise, entouré de zones humides, de terre sèche et de plaques
de sel. On y voit des hordes d'ânes sauvages, c'est magnifique mais
on n'a pas le temps de les photographier. C'est une plaine immense et
on se demande si on va pouvoir aisément se balader par ici. De fait
ça se complique. L'hébergement nous dissuade de rester trois jours
comme prévu. Une chambre sans eau, sans électricité, pas très
propre avec des toilettes ladakhis pour couronner le tout (trou dans
le sol, avec -en principe- un tas de terre à côté). On profite
donc de l'unique journée pour rayonner autour, et on repart avec les
motards le lendemain. Le hameau est beau, étrange car déserté en
grande partie par sa population de nomades. On voit des oiseaux, mais
on réside trop loin des rives du lac pour les approcher.
On embarque maintenant
pour Pang, pour retrouver la route Manali-Leh. On salut bien les
motards qui font route vers Manali, alors qu'on remonte vers Leh. On
a le temps d'offrir un thé à l'équipe et, quinze minutes après
leur départ, trois jeunes indiens nous proposent de nous faire une
place dans leur voiture. On n'aura pas eu à attendre un bus.
On descend avant Leh, à
Rumtse. On a envie de profiter encore un peu des hautes sphères. Le
paysage montagneux concassé nous incite à passer deux nuits dans ce
village où les troupeaux de chèvres pashmina sont la population
majoritaire. Magnifiques troupeaux qui montent sur les hautes
prairies en journée, beaux villages autour aux maisons
traditionnelles, et, le principal, des personnages hauts en couleurs
qui peuvent parfois communiquer en anglais. Une vie difficile ici. Il
faut aller chercher l'eau à la pompe du village et la rapporter sur
le dos, aller ramasser des bouses sèches pour le feu, s'occuper des
précieux champs d'orge pendant la courte saison estivale,
accompagner les bêtes matin et soir aux pâturages, traire chèvres,
vaches et dimos, tondre, carder, filer et tisser, préparer
artisanalement les aliments de base : yaourt, fromage, beurre
et tsampa, laver le linge dans l'eau froide des rivières... Ils et
elles font tout ça et bien plus, sourire coquin aux lèvres quand on
s'approche ou tonique « Juley !, Juley ! ». Un
peuple vraiment impressionnant. C'est du courage décuplé par une
force physique et morale, indispensables ici. La force des montagnes.
A première vue, les
scènes de vie quotidienne nous renvoient à un passé lointain que
certains qualifient même de moyenâgeux. A première vue. Si un lien
puissant avec des pratiques ancestrales est évident, il y a autre
chose qui surplombe tout ça, quelque chose de l'avenir. Ces gens ont
une connaissance de leur milieu bien au delà de ce qu'on peut
imaginer, ils savent, avec une économie de moyens, en extraire
l'essentiel, ils savent faire durer leurs richesses. On voit ça
dans leur yeux, leurs mains, leurs gestes, leurs démarches et cette
obstination qui prend son temps. On voit qu'ils sont reliés les uns
aux autres même dans les moments solitaires, on sait qu'ils
pratiquent la méditation, ont eu un enseignement spirituel, et, en
leur présence, on ne saurait dire exactement ce qu'on perçoit,
mais, chose sûre, ils portent quelque chose du futur, ils semblent
loin devant dans la compréhension du monde. On a envie d'apprendre
d'eux.
Etant plus près du
cosmos, seraient-ils plus près de la noosphère, du monde de la
connaissance plutôt que du monde des objets ? Là où le
confort matériel cède la place à la complexité de l'esprit ??
Qui sait...
Rentrés à Leh depuis
quelques jours, c'est une foule importante qui se rassemble ce 29
juillet tout au long de la route qui relie l'aéroport au village de
réfugiés tibétains. Ce jour là, c'est le Dalaï Lama qui vient
faire une retraite de deux semaines ici, comme chaque année. Je me
joins à la paisible marée humaine qui tient beaucoup à souhaiter
la bienvenue à leur guide spirituel. L'émotion brille en silence.
Valérie
Et d'autres images par ici :
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