mardi 30 juillet 2013

Ladakh, épisode 2 : Vallée de la Nubra – Les lacs Tsomo Riri et Tso Kar


Leh, notre camp de base, malgré ses quartiers bien trop agités pour nous en cette fin juillet, est notre lieu de « maintenance ». On s'y retape, on se love dans un bon réconfort depuis qu'on a déniché un homestay fait sur mesure.
On habite chez Kouné, son mari et ses deux filles dans une maison calme avec un grand jardin potager. Elle nous régale de ses légumes (et aussi de momos!!) si précieux dans ce pays . 

Elle a bien compris qu'on a un petit faible pour ses trésors, épinards, carottes, choux, salades, petits pois, haricots, radis blancs... Kouné, c'est notre protectrice. Elle garde notre chambre quand on fait une escapade pendant quelques jours, elle apporte du thé toujours au bon moment, elle remplit nos bouteilles d'une bonne eau potable des montagnes. Elle est douce et calme, elle ne sait pas qu'elle nous console parfois des petits maux du voyageur.

Cette fois, on a pris une jeep partagée avec des indiens pour franchir le Kardung La, un col à 5600 mètres. Une route magnifique qui surplombe les vallées de L'Indus en montant et de la Nubra en redescendant. A 5600 mètres, on ne ressent aucun malaise, bonne nouvelle. Il fait à peine un peu frais. Là où c'est moins heureux, c'est que Diskit, le village où on va séjourner, est à 3100 mètres, c'est à dire moins haut que Leh. Le « mais » dont on a déjà parlé dans le précédent article, en profite donc pour enfler, projette de se mettre en travers de notre chemin pour rendre nos balades éprouvantes.

On découvre une très large vallée où la rivière fait de grands méandres autour de dunes de sables. Elle est bordée de villages, de cultures et de montagnes sèches. Le cagnard se régale. Des chameaux vivent ici, ça donne une idée du climat. On grimpe le soir jusqu'au monastère perché pour avoir une vue spectaculaire sur l'ensemble du paysage. Le très ancien gompa est impressionnant, comme toujours au Ladakh. Construit sur un éperon rocheux, il se niche dans les replis du roc et semble un prolongement naturel des lieux. On ne sait pas qui, de la montagne ou du monastère, engloutit l'autre. Ce qu'on sait, ce qu'on sent bien, c'est la verticalité du dédale qui nous conduit de shortens en statues, de recoins en escaliers tortueux vers les nuages.

Pendant ce temps le « mais » prépare son coup en douce pour le lendemain.

On se lève tôt pour aller à Hunder, un village à huit kilomètres, (eh, facile qu'on se dit) où on peut voir les fameux chameaux de Bactriane, hélas devenus des animaux domestiques pour balader les touristes. On sait qu'il y en a environ deux cents semi-sauvages dans le secteur. On fait des détours dans ce drôle de village artificiel composé quasi uniquement de guesthouses plutôt luxueuses. Et la chaleur aidant, on arrive au but moulus et suants. Les chameaux sont magnifiques mais on est un peu étonnés, voire écœurés, de voir comment ça se passe, comment s'enchaînent les tours de quinze ou trente minutes dans ce désert de sable. On voudrait rentrer en suivant le lit de la rivière, mais, entre les dunes de sable, le risque est grand de se perdre et de cuire sur place. On rentre donc en voiture avec quelqu'un du village. Après cette journée, notre moral en a pris un coup, c'est vraiment trop dur de marcher ici.

Alors, on abandonne nos projets de découvrir d'autres villages dans cette longue vallée et on décide de rentrer prématurément à Leh. Chez Kouné, on se remet de nos épreuves. Il y en a un qui commence à perdre la motivation. Le type vosgien-breton est dépendant d'une part de forêts, de sentiers moussus, d'odeurs de champignons et d'autre part de crachin oblique, de vent marin, de chalutiers furieux et de cirés jaunes qui gîtent de babord en étoiles !!!. On se calme, au Ladakh, y'a pas. En revanche les rochers, la pierraille de toutes les couleurs, de toutes les formes et de toutes les tailles, les rivières (et les réseaux d'eau ingénieusement distribuée) qui heureusement, verdissent les villages, abondent. Si parfois les contraires s'attirent et s'enrichissent, là non ;-). Le type Corse-Provençal s'en sort un peu mieux, surtout quand il fourbit bien ses armes : lever vers 4h30 le matin (le jour arrive dès 5h), départ sur les chemins si possible avant le soleil, dialogue avec Morphée aux heures chaudes et ne ressortir que quand le soleil s'en va éclairer plus loin, à l'ouest de nos intentions.
On fait des rencontres en arpentant les chemins, ça aide à avancer. La population locale est vraiment étonnante et les moments partagés sont marquants, même lorsqu'ils sont courts. On n'en finit pas de se demander comment on fait pour vivre ici toute l'année.


On va donc, on a compris la leçon, viser d'autres altitudes, là où on est à peu près sûrs d'avoir de la fraîcheur. On prend un bus vers le sud-est de Leh, vers le Tsomo Riri, un lac à 4500 mètres. On en a pour douze heures, mais ce trajet au milieu des ladakhis est une belle aventure avec un conducteur très prudent.

Tsomo Riri, on en a rêvé en voyageant sur les cartes du Ladakh il y a des mois de cela. On arrive à Korzok en fin de journée, quand le coucher de soleil fait flamber ce décor de démesure. C'est splendide. Pour le logement, on devra se contenter d'une chambre basique chez une très gentille vieille dame. Va pour cette option, il y a quand même tout ce qu'il faut même si tout est un peu bancal. 

C'est parti pour trois jours d'exploration le long du lac, sur les pentes des montagnes autour, dans les prairies d'altitude où vivent des nomades éleveurs à cette saison. Cet endroit à la particularité de changer de couleur en permanence. Les lumières, la roche colorée des montagnes, les ciels en mouvement permanent tricotent de fantastiques paysages. Et, la faune, pour peu qu'on se donne un peu de mal, nous réserve de belles surprises. On a pu se régaler avec le gypaète barbu, les oies à tête barrées, des canards, des petits oiseaux.

Dans ce village, reculé, l'atmosphère est particulière. Les visages sont burinés par le soleil, le vent, la poussière. Des regards intenses . Les gens se retrouvent devant les échoppes, dans la tente-restaurant du coin et ces assemblées pourraient sembler un peu distantes par rapport aux étrangers. On sait qu'il n'en est rien. Ceux qui viennent passer une nuit et puis s'en vont ne peuvent pas se douter que, dans ce village far-west, les gens ont simplement la vie dure. Derrière des visages parfois durs, ils sont vraiment cordiaux quand on prend le temps. Ils nous rappellent les grands Tibétains du Sichuan, si impressionnants au premier abord.


On a un petit souci : les bus ne passe que tous les dix jours. Or, le permis pour cette région, Le Rupshu, ne dure que sept jours... On voudrait profiter des jours restants pour aller voir un autre lac, le Tso Kar. On se renseigne auprès des touristes dans les campements autour, et la chance nous sourit. 

Pascal, un français qui guide un groupe de motards, nous invite très spontanément à embarquer le lendemain dans la jeep qui suit le groupe. Pascal, une bonne quarantaine vit en Inde depuis sept ans avec sa petite famille. Illustrateur en hiver, guide-motard l'été, il est bien dans sa vie et transmet son tonus aux autres. Le petit groupe de motards est une bande bien sympathique de Français de métropole et d'outre-mer, de Belges et de Suisses. Point commun : ils sont tous très sereins et l'ambiance est plutôt blagueuse. Même si on n'a pas une passion pour la moto, il fait vraiment bon avec eux. On s'arrête souvent et, sur les pistes, l'allure est plus que raisonnable. Il faut savoir que sur les routes trans-himalayennes, enfourcher une Royal Enfield mythique est une activité très prisée en été.
Nous voilà donc à Thukje, hameau perdu au bord du lac Tso Kar. Un lac salé, bleu turquoise, entouré de zones humides, de terre sèche et de plaques de sel. On y voit des hordes d'ânes sauvages, c'est magnifique mais on n'a pas le temps de les photographier. C'est une plaine immense et on se demande si on va pouvoir aisément se balader par ici. De fait ça se complique. L'hébergement nous dissuade de rester trois jours comme prévu. Une chambre sans eau, sans électricité, pas très propre avec des toilettes ladakhis pour couronner le tout (trou dans le sol, avec -en principe- un tas de terre à côté). On profite donc de l'unique journée pour rayonner autour, et on repart avec les motards le lendemain. Le hameau est beau, étrange car déserté en grande partie par sa population de nomades. On voit des oiseaux, mais on réside trop loin des rives du lac pour les approcher.

On embarque maintenant pour Pang, pour retrouver la route Manali-Leh. On salut bien les motards qui font route vers Manali, alors qu'on remonte vers Leh. On a le temps d'offrir un thé à l'équipe et, quinze minutes après leur départ, trois jeunes indiens nous proposent de nous faire une place dans leur voiture. On n'aura pas eu à attendre un bus.


On descend avant Leh, à Rumtse. On a envie de profiter encore un peu des hautes sphères. Le paysage montagneux concassé nous incite à passer deux nuits dans ce village où les troupeaux de chèvres pashmina sont la population majoritaire. Magnifiques troupeaux qui montent sur les hautes prairies en journée, beaux villages autour aux maisons traditionnelles, et, le principal, des personnages hauts en couleurs qui peuvent parfois communiquer en anglais. Une vie difficile ici. Il faut aller chercher l'eau à la pompe du village et la rapporter sur le dos, aller ramasser des bouses sèches pour le feu, s'occuper des précieux champs d'orge pendant la courte saison estivale, accompagner les bêtes matin et soir aux pâturages, traire chèvres, vaches et dimos, tondre, carder, filer et tisser, préparer artisanalement les aliments de base : yaourt, fromage, beurre et tsampa, laver le linge dans l'eau froide des rivières... Ils et elles font tout ça et bien plus, sourire coquin aux lèvres quand on s'approche ou tonique « Juley !, Juley ! ». Un peuple vraiment impressionnant. C'est du courage décuplé par une force physique et morale, indispensables ici. La force des montagnes.

A première vue, les scènes de vie quotidienne nous renvoient à un passé lointain que certains qualifient même de moyenâgeux. A première vue. Si un lien puissant avec des pratiques ancestrales est évident, il y a autre chose qui surplombe tout ça, quelque chose de l'avenir. Ces gens ont une connaissance de leur milieu bien au delà de ce qu'on peut imaginer, ils savent, avec une économie de moyens, en extraire l'essentiel, ils savent faire durer leurs richesses. On voit ça dans leur yeux, leurs mains, leurs gestes, leurs démarches et cette obstination qui prend son temps. On voit qu'ils sont reliés les uns aux autres même dans les moments solitaires, on sait qu'ils pratiquent la méditation, ont eu un enseignement spirituel, et, en leur présence, on ne saurait dire exactement ce qu'on perçoit, mais, chose sûre, ils portent quelque chose du futur, ils semblent loin devant dans la compréhension du monde. On a envie d'apprendre d'eux.
Etant plus près du cosmos, seraient-ils plus près de la noosphère, du monde de la connaissance plutôt que du monde des objets ? Là où le confort matériel cède la place à la complexité de l'esprit ?? Qui sait...


Rentrés à Leh depuis quelques jours, c'est une foule importante qui se rassemble ce 29 juillet tout au long de la route qui relie l'aéroport au village de réfugiés tibétains. Ce jour là, c'est le Dalaï Lama qui vient faire une retraite de deux semaines ici, comme chaque année. Je me joins à la paisible marée humaine qui tient beaucoup à souhaiter la bienvenue à leur guide spirituel. L'émotion brille en silence.


Valérie

Et d'autres images par ici :