mercredi 11 septembre 2013

Ladakh, épisode 3 : Lac de Pangong, mois des amis et des adieux


Cette fois, après un repos rituel à Leh, on prend la route du Pangong Tso. Bus local pour huit heures de route vers le sud-ouest avec un col à 5300 mètres, le Chang La.
Destination Merak, un village un peu reculé le long du lac. Spanmik, le premier village est très touristique et un peu spécial : les véhicules emmènent les groupes de vacanciers un jour et les remmènent le lendemain. Beaucoup de va-et-vient donc, des campements qui se remplissent et se vident inlassablement, et des soirées festives, un rien insupportables...




Donc Merak, vingt km plus loin. En plus des villageois qui rentrent chez eux, nous sommes six étrangers. On se retrouve le soir dans le même homestay, on a du avoir la même envie d'être tranquilles et il se trouve qu'on est très bien ensemble. Deux jeunes Japonais, un jeune Coréen et Marie-Paule, une française de notre âge. On est dans un bout du monde, le hameau est éparpillé, le spectacle du lac est saisissant. Après une petite reconnaissance des environs, notre hôte nous sert un excellent thali, riz, légumes épicés, lentilles, yaourt maison et chapatis. Ces moments de rencontres qui rapprochent des touristes entre eux ne sont pas si fréquents, la mayonnaise ne prend pas toujours, mais là, on était vraiment tous contents d'être réunis dans cette grande maison. Hormis les toilettes ladakhis à l'extérieur de la maison, bon... On fait connaissance, les voyages s'arrêtent le temps d'une soirée pour être relayés par les récits de chacun de nous. Beaucoup de rires, les coréens et les japonais nous étonnent toujours avec leur spontanéité débridée sous-tendue par un grand calme, leurs folles ambitions pour explorer le monde du bout de leur jeunesse.


Nous, un peu plus exigeants... du bout de notre grand âge, on a du mal à supporter trop longtemps les toilettes locales. C'est un peu la raison pour laquelle, on décide de ne pas rester plusieurs jours ici. Tout le monde retourne à Leh le lendemain car le bus ne passe qu'une fois par semaine. Nous, qui avons l'intention de rester une semaine dans les parages, choisissons, tanpis, de nous installer à Spanmik pour avoir une chance de trouver une voiture pour le retour.


On essaie de réduire les nuisances en choisissant un homestay au bout du village. Succès mitigé. On veut profiter des balades autour, voir des hameaux, peut-être des animaux. Lors de notre arrivée en bus, on a pu voir un groupe de chevaux sauvages qu'on a photographiés cette fois. Magique moment, ils sont rares, on n'en reverra plus malgré nos tentatives matinales.


Ce lac à la particularité de se modifier sans arrêt. Des bleus, des verts aux nuances spectaculaires autant que fugitives, du noir, du brun selon les heures et un festival de reflets. C'est vrai qu'on est surpris en permanence. C'est un lac légèrement salé et les animaux sont assez rares. Quelques oiseaux, de gros lièvres trop rapides. On a plutôt fréquenté les troupeaux de chèvres, de vaches et nos amis les ânes, comme partout.


On est à 4300 mètres ici, mais les après-midi sont encore très chauds. C'est donc vers 6h qu'on sort pour de longues matinées de marche. On aura eu le temps d'explorer les environs assez scrupuleusement. Man, Lukung, Phobrang. Les gens de Spanmik sont un peu surpris de nous voir séjourner si longtemps, mais on ne peut pas dire qu'on ait eu des contacts très intenses, bien trop de passage pour faire attention aux visiteurs. Dans ce cas, c'est toujours avec les gens qui ne vivent pas du tourisme qu'on a les meilleures relations, particulièrement avec les travailleurs des champs, les bergers... Ça nous va.

On est tout près de la frontière chinoise. Le lac, long de 125 km, ne possède que 40 km en Inde. Interdiction d'ailleurs de s'approcher de la ligne rouge. Du coup, c'est une zone assez militarisée. C'est le Tibet qui se trouve de l'autre côté. Les militaires indiens sont plutôt sympathiques mais le paysage est passablement saccagé par l'armée, ses camions, ses camps, ses avions et hélicoptères... Chine d'un côté, Pakistan de l'autre, le Ladakh est cerné par l'armée et les tentatives d'incursions ne sont pas rares.

On rentre à Leh, pas mécontents de retrouver Kouné. Norboo son mari fantôme, les filles Yangchen, Angmo et Chosdon, Cama le chat et Singhe le chien.
On retrouve aussi Marie-Paule et Jean. On avait croisé Jean à Lamayuru, puis à Leh. Ils se sont rencontrés dans un autre coin, et du coup, on est contents de les retrouver tous les deux. L'une vient des Alpes maritimes et l'autre, du Lot-et-Garonne, à quelques encablures d'Agen ! Petit monde.
Ces deux-là, on les aurait bien gardés un peu plus longtemps avec nous. Tristesse de les voir quitter Leh quelques jours plus tard. Y a pas de miracle, on est réceptifs à quelques personnes parmi tant d'autres croisées en chemin, on sent qu'on partage d'emblée quelque chose d'essentiel. On a pas eu à se demander ce qu'on partageait avec certains indiens en vacances qui se comportent bien des fois en tout irrespect envers les autres, particulièrement les femmes, et envers les lieux qu'ils maculent de détritus de toutes sortes..., ni avec les jeunes israéliens tout juste sortis de trois ans de service militaire et qui viennent profiter des six mois suivants, payés, pour faire la java en Inde, ou encore des occidentaux déguisés en hippies, sans les idées... Malotrusme local et légèreté lourdingue occidentale, le cocktail des vacances.
Parmi tous ces gens qui vont en groupe, il y a de temps en temps des électrons libres et, c'est étrange, on finit par prendre le même bus, dormir au même endroit ou partager une table dans un restaurant trop petit. Magnétisme des lieux. En plus, ça fait du bien de parler sa langue sans réfléchir. Naturellement, on cherche à se revoir tant que nos routes ne se démêlent pas.

Je n'ai pas encore parlé des WAL. Ca me renvoie à la TWA de Dharamsala. Ca ne vous dit rien ? Histoires de femmes. J'avais passé beaucoup de temps avec celles de la Tibetan Women Association et ici, à Leh, il y a la Women Alliance du Ladakh. Une association qui œuvre depuis 1991 auprès des femmes des villages reculés. Ces femmes sont souvent en difficulté. Les maris sont partis travailler à Leh dans le tourisme, ou plutôt tenter leur chance et elles se retrouvent seules avec les enfants, les champs, les bêtes... Des femmes engagées s'occupent d'elles, les aident à développer des savoir-faire pour vivre : artisanat, cuisine, culture biologique... En vingt-deux ans, le succès est impressionnant. Ces femmes de caractère ne se sont pas laissées abattre et beaucoup sont impliquées dans des projets collectifs d'entraide, culturels, sanitaires, éducatifs... Tout sauf du blabla. Et, cerise sur le gâteau, elles sont irrésistibles, une bonne dose de courage, une plus grande de détermination et une encore plus grande d'humour et de gentillesse. Chapeau à ces dames. En parlant de chapeau, quand elles mettent la tenue traditionnelle, le chapeau fait quand même partie du must, ça doit être ça la cerise sur le gâteau.


On a la chance d'assister au festival qu'elles organisent chaque année dans la grande maison passive entourée d'un jardin qui leur sert de local, de boutique, de lieu de conférence et d’accueil. Deux jours où elles déploient une belle énergie sur leurs stands de cuisine locale et de spécialités : huile de moutarde artisanale, huile de noyaux d'abricots, momos, tsampa (orge grillé moulu qu'on ajoute dans le yaourt, les légumes, le thé...), pain ladhaki et toutes sortes de plats qu'on peut goûter pour quelques roupies. 


De temps en temps, le silence se fait, la musique démarre et, un groupe de femmes converge sous la toile tendue au milieu du jardin et se met à danser. Un grand cercle, des petits pas, des gestes lents et ténus, des mouvements de mains subtils... tout sauf une chorégraphie démonstrative. C'est très impressionnant. C'est ce qu'on appelle la danse des femmes, pleine de secrets profonds suggérés par des gestes simples. Il s'en dégage une grande puissance tout en retenue, une belle émotion.


Le premier jour, le festival est inauguré par une série d'interventions de personnalités engagées dans des projets liés au développement d'une agriculture biologique. Une grande dame est là, qui prend la parole et qui ne mâche pas ses mots concernant l'autosuffisance alimentaire, l'austérité en Europe qui est un anti-modèle... C'est Vandana Shiva, cette militante qui se bat, entre autres choses, pour défendre les petits paysans après le suicide de centaines de milliers d'entre eux. La cause des suicides? Les ravages causés par Monsanto.


D'une personnalité à l'autre, cette fois, c'est le Dalaï Lama qui vient à la rencontre des Ladakhis. Ce 21 août, dans le village tibétain en périphérie de la ville, il va donner des enseignements comme il le fait chaque année. C'est impressionnant, la ville s'est vidée, tout le peuple converge vers lui, vers son rire, ses mains qui dansent quand il parle. Il est tout petit là-haut qui salue une foule paisible. Belle surprise.


Quelques jours après, d'autres amis doivent arriver. Pierre et sa compagne, du Lot-et-Garonne. Pierre est un auteur-conteur découvert à Agen dans des conditions professionnelles. On s'est aperçu qu'on partageait le même attrait pour les montagnes himalayennes. Il a fait le voyage à deux reprises dans le Cotentin pour le festival de contes, « Passeurs de mots ». Alors, tout naturellement, on ajoute le Ladakh à nos cartes communes. Ils sont en partance pour la grande traversée du Zanskar alors que nous, on hésite encore pour la suite. Quel plaisir de se retrouver ici ! Tout petit monde.
Pour eux, c'est un retour aux sources après vingt-cinq ans. Leh a bien changé, on s'en doute. Je les envie un peu de ces vingt jours en pleine montagne !


Nous, on hésite donc toujours... Il fait encore bien chaud pour qu'on se décide à aller randonner dans un autre coin du Ladakh. Il y a beaucoup de possibilités, mais ce soleil toujours furieux nous décourage. On a bien eu quelques jours de temps nuageux et de pluies intermittentes mais la température en milieu de journée ne baisse pas beaucoup. Alors, on réfléchit en coulant des jours paisibles à Leh, de balades en lectures.

On en profite pour essayer de revoir Dolma, notre chère petite Dolma. Elle est en vacances, mais les vacances des jeunes sont assorties d'impératifs familiaux incontournables : il faut aider aux travaux des champs, au travail quotidien domestique chez les parents ou chez les oncles et tantes. Dolma a un emploi du temps bien rembourré. Elle aide sa famille avec plaisir à la campagne. Elle arrive quand même à s'échapper deux jours et on se souviendra longtemps d'une soirée momos magnifique avec deux de ses cousines. Tous les cinq, dans la maison d'un de ses oncles absent, on se régale autant de rires que de momos. Les filles ont entre seize et vingt-deux ans, elles sont surdouées en cuisine, enjouées et très mûres. On a l'impression d'avoir leur âge et notre compagnie n'a pas l'air de les intimider très longtemps. On cuisine entre les éternelles coupures de courant, ce n'est pas de notre faute si nos momos sont moins réussis que ceux des filles !!


Quand on rencontre Graziella, on commence à être un rien dépités. J'ai bien envie de tenter une dernière virée montagnarde, mais le monsieur n'est pas très motivé. Puis, la magie des rencontres, la personnalité tonique de Graziella qui a beaucoup randonné produit un miracle et on se décide pour quatre ou cinq jours de marche dans le Zanskar, de l'autre côté de l'Indus. Entre Chiling et Stock, deux cols à 5000 mètres, des étapes courtes, banco ! On a vraiment envie de fraîcheur et on se serait même pas contre un peu de froid.
Entre temps, le beau projet s'enraye... à cause de jour et d'horaires de bus compliqués. Maudits bus. Tout semble définitivement tombé à l'eau, quand, surgit - d'un entêtement de vous devinez qui - une solution et le miracle peut reprendre son cours. On trouve une voiture qui emmène chaque jour des gens à Chiling pour faire du rafting sur la rivière Zanskar. Ca, c'est L'Inde, « Incredible India » comme disent les communicants. On a déjà la tête dans la chaîne du Zanskar, on longe en voiture la rivière au milieu des montagnes rouges, on arrive, on grimpe dans le village... et là, on reçoit comme un coup de massue... et, quelques heures plus tard on décide de retourner à Leh dans une voiture inespérée qui repart. On n'a pas aimé l'atmosphère peu amène du village, les homestays plus que basiques, voire repoussants et hors de prix dans ce secteur, on a été si surpris qu'on a réagi à chaud, en deux temps trois mouvements on était rentrés à la maison, chez Kouné. Quand ça veut pas, ça veut pas ! On a bien ri après coup, mais, une fois de plus on est passé à côté de quelque chose. Ou non, qui sait ? Ce qu'on ne voit pas semble toujours plus merveilleux.


Oui, pour conclure, on a le sentiment d'être restés en lisière, ce coin du monde est difficilement praticable en solo. Il y a eu des moments très intenses avec les gens, mais il y a eu bien des frustrations, des déceptions. C'est ainsi.
C'est un endroit où la vie est rude, alors, les gens sont parfois fermés, absorbés par leurs tâches. D'autres fois, c'est le contraire, on sent une vraie envie de restituer toute la vitalité nécessaire ici. Un été s'achève, les champs d'orge jaunissent, bientôt le temps des moissons, bientôt le départ.


Avant de quitter Ladakh, je vous présente une autre Dolma, une vieille belle dame. Une de ces personnes qui vous fait oublier toutes les petites misères. Je passe devant sa maison en rentrant de balade, elle me salut, m'interpelle avec quelques mots d'anglais et m'invite à partager un thé avec elle et son petit neveu. Un moment doux, une vieille dame qui sait ce qu'accueillir veut dire. Merci à toutes les Dolma, qu'elles s'appellent Dolma, Kouné. Angmo, Yangchen, Tsering ou Rinchen. Merci de nous avoir empêchés de renoncer quand cette terre tourmentée au sol assoiffé et aux montagnes cisaillées nous prenaient pour cible. On ne s'est pas laissés réduire en poudre.

Pour finir, un autre beau cadeau : Notre petite Dolma revient nous voir à Leh, et on passe la soirée ensemble chez Kouné. Elles s'entendent bien, peut-être que leur relation va rebondir plus loin. Kouné m'apprend à faire un pain ladakhi excellent, le cambich, dont le secret est de gonfler directement à la flamme après une cuisson à la poêle.


Demain à 4 heures du matin, départ pour Keylong, puis la vallée de la Spiti. D'autres horizons dans l'Himachal Pradesh.
Kouné s'est levée pour notre départ, son sourire aussi. Dans la nuit étoilée, quelques paires d'yeux se mélangent aux chuchotements, chavirent quand le taxi démarre. Pépites dans le ciel, chaos de tristesse, dans les mains le goût du dernier silence réchauffe.
C'était le mois des rencontres, le mois des amis.

PS : En fait de vallée de la Spiti et à cause de mauvaise correspondance de bus, non? si!, nous voilà à Manali. Quand ça veut pas, ça veut pas ! Manali, c'est bien aussi, sûr qu'on va retrouver des connaissances. Ben alors, vont quand même pas se plaindre ?

Valérie


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