mercredi 5 décembre 2012

Au coeur des Annapurna

C'était il y a plus d'un mois...
Le vent a soufflé sur les pages du livre ouvert, on a perdu le fil, un nouveau chapitre était déjà commencé. Alors on va poursuivre l'histoire là où elle nous emporte.

A Katmandou, on n'a même pas eu le temps de ressentir le choc attendu. On s'est retrouvés deux soirs plus tard au seuil d'un long chemin qui sentait déjà les neiges éternelles. 



Ça s'appelle Bhulbhule (Boulboulé), c'est à la fois un nouveau monde aussi bien qu'une plongée immédiate dans les jours anciens. Tout revient, tout est déjà un peu là qui commence à recouvrir deux années écoulées. C'est drôle, on se demande si on va tout oublier d'un coup, si c'est l'illusion des premiers jours, si tout va se mélanger. On est surpris par cet effet d'horloge qui se remet en marche, tic tac, sans qu'on l'ait touchée. Pourtant, si près de faire les premiers pas himalayens, viennent par vagues des pensées, des visages, des lieux. Oui, tout va se mélanger un peu, les quand, les où, les qui vont s'amuser un peu avec le présent et le passé. On remettra de l'ordre plus tard, on a un sacré trajet à faire, heureusement qu'on ne le connaît pas encore, je crois qu'on ne le referait pas tout de suite!!



On a traversé des vents contraires, on est montés, descendus, remontés dans le bon soleil des montagnes, on a vu des villages inouïs  rencontrés des personnes inoubliables, on a encaissé des cruautés, on est moulus. Mais, dans ces cas là, on ne choisit pas, on prend tout, on est dedans et on s'arrange avec les splendeurs craquelées, on accepte les coups des jours mauvais car ce n'est rien comparé à ces visions de démesure. On a dormi à 5 km au dessus de vos têtes.



Les sommets se montrent peu à peu, on avance doucement jusqu'au prochain thé, les odeurs de la bonne cuisine des hauteurs décident de nos étapes autant que la beauté des lieux. Parfois, on s'arrête plusieurs jours, autant pour profiter des ces mondes étranges que pour reposer nos jambes, dos, yeux gonflés et tout et tout. L'inconfort s'accentue progressivement, ça nous laisse le temps de nous adapter. Ce qu'on a sous les yeux nous galvanise, on continue, on monte. Au bout du compte, on a enchaîné trois circuits, le trek du tour des Annapurnas, le trek de Gandruk et le trek de l'Annapurna Base Camp. Deux passages délicats à 5416 mètres et à 4200 mètres où on a dormi au milieu du grand bazard : Le Manaslu, les Annapurna 1,2,3 et 4, le Gangapurna, Le Nilgiri, le Daulaghiri, le Manchapuchre... rien que des sommités entre 7000 et plus de 8000 mètres. 30 jours de randonnée. Devant tant de beauté, on continue. Le paysage nous porte, les gens d'ici nous consolent, la montagne ne nous permet pas d'hésiter, elle nous avale. Tanpis pour la douche qui ne chauffe que rarement, tanpis pour les toilettes dehors quand il gèle la nuit, tanpis pour les prix qui grimpent avec l'altitude autant que les portions diminuent. Tanpis pour toutes les couleuvres y compris parfois par le peu d'amabilité de certains népalais trop occupés à compter les devises. On est sur des circuits touristiques, on ne peut éviter tous les pièges. Il y a eu des sourires cassés, des colères et des déceptions. Mais on n'est pas les premiers à enjamber ces misères pour rester encore et encore dans cette pure folie.






Il y a bien des moments où on s'est demandé si on ne voyait pas un peu trop grand, alors on s'arrête, on retire nos chaussures qui marchent et on s'approche un peu plus de la vie des gens. On a coupé le riz avec des femmes à 2000 mètres, on a passé un moment incroyable avec des paysans au labour, on a vu celles qui font sécher les pommes, ceux qui battent le millet, ceux qui portent...



On a bu des centaines de thés, dévoré des dizaines de momos, on s'est installés dans la plaine des yaks et des vautours, on a surpris des mouflons,  des poules sauvages... On s'est réchauffés tant de fois autour du poêle en terre des cuisines, parfois ça n'a pas suffit à réchauffer les chambres. Le froid nous a raidis plus d'une fois, mais les gens d'en haut nous empêchent de nous plaindre, nous qui retrouverons du confort bientôt. 



Un jour, on a franchit ce col, le Thorung-La, à plus de 5000 mètres. C'était donc possible de grimper tout là haut. On retrouve alors le versant qu'on connaissait qu'on avait tellement aimé qu'on l'aime encore (comme dit un chanteur qu'on aime toujours;-). On s'est prélassés dans ce village tibétain planté sur le bord d'une très large rivière, dans la région du Mustang. Ici, le vent se lève en début d'après-midi, il est fort, il fait pleurer les yeux et le soir, la température baissant congèle les larmes. C'est presque vrai. Le vent des montagnes a de gros muscles, il faut le savoir, mieux vaut se pousser quand il passe. On est devenus plus forts aussi, des aptitudes poussent les unes sur les autres. Elles tomberont sans doute dès qu'on n'en aura plus l'usage. On est des léopards des neiges, on redeviendra canaris. Sans plume.

On souffle, on détend, on décrispe les membres, on sort les yeux, on dévore l'automne qui ressemble au printemps. Kagbéni est presque plus beau à la saison des labours. 



On reste, on reste. Comme si le grandiose pouvait durer... On apprend à multiplier les jours forts, et à vite effacer les autres. Pourquoi n'y aurait-il que le petitiose qui s'éternise????



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