vendredi 7 décembre 2012

Le chant de la terre.

Parfois, à Kagbeni, petit village du bas Mustang, la terre se met à chanter. Ça se passe en Novembre.

A peine le soleil du matin a-t'il fait blanchir le givre, qu'une étrange musique enveloppe la vallée de la Kaligandaki, cette rivière sinueuse qui creuse son large lit depuis la nuit des temps dans le Mustang pour venir y apporter l'eau des glaciers nécessaire aux cultures et à la vie difficile des montagnes.

Kagbeni n'est pas un village, c'est un îlot. Un îlot vert, jaune ou rose, selon les saisons. Selon l'humeur des potagers, des vergers, de l'orge ou du sarrazin. Un petit village qui, grâce à ses couleurs, résiste aux tons doux des sables, au blanc cassé de la poussière, aux gris des pierres. Kagbeni est une tache de vie dans le désert de rocaille du Mustang, à 3000 mètres d'altitude.

Ce matin-là, l'animal a rendez-vous avec l'homme le temps d'une danse étrange. La terre doit être préparée si l'on veut manger à la saison prochaine. L'un après l'autre, les champs de Kagbeni accueillent donc les hommes et les boeufs pour le labour. D'alleurs, les boeufs arborent ici des cornes qui les classent plutôt dans la catégorie des Yaks.


L'attelage de Tenzing est déjà prêt. Le bal peut commencer. Debout sur une charrue sommaire, baguette en main, il chante, Tenzing ! Et l'attelage se met en branle. Il chante et c'est magnifique. Il chante pour indiquer aux boeufs le chemin à suivre. Et ils comprennent, bien sûr. Les courtes phrases musicales disent "à droite", "à gauche", "demi tour" ou "arrête-toi". 

Au même moment, dans tous les champs, la même mélodie s'envole de toutes les bouches, ponctuée de petits cris en voix de tête. Nous restons là, figés, devant un spectacle musical qui nous ramène probablement plusieurs siècles en arrière.

Puis, lorsque les hommes se relaient, car conduire la charrue est harassant, nous interrogeons Tenzing sur le pourquoi de ces chants. Son large sourire de Tibétain nous envoie : "For the Ox to be happy !". Mais oui, bien sûr, c'est évident, il faut que les boeufs soient contents. Rassurés, tranquilisés.


Une fois la charrue passée, la terre est aplanie. Une simple planche traînée par les boeufs et supportant le poids de l'homme fera l'affaire. On assiste alors, un peu amusés, à une séance de surf de l'Himalaya, et en chanson toujours ! La terre sera ensuite préparée en petits sillons pour accueillir les graines. 

Merci Tenzing et merci à tous les autres choristes pour le concert en plein air. On vous souhaite la plus savoureuse des récoltes.

Hervé